Peut-on être de gauche et favorable à un projet de réforme d'une retraite à points ?

Contribution de Jean-Marc Mignon, militant du Parti Socialiste à Garches.

Comme souvent dans notre cher pays, il est difficile d’avoir une approche nuancée sur un sujet complexe et sensible tel que celui du projet de réforme du régime des retraites.

Après de nombreux échanges avec plusieurs camarades du Parti Socialiste, ou sympathisants, je me suis décidé à écrire cette tribune, personnelle – qui n’engage donc que moi- pour essayer de clarifier ma position sur le sujet.

Le constat

Je prendrai donc comme point de départ la situation actuelle des régimes de retraite.

Comme tout le monde le sait, cette situation est complexe puisque nous avons un régime général, des régimes complémentaires, un régime pour les cadres et 42 régimes spéciaux issus, pour beaucoup, de l’après-guerre.

La réalité est qu’il y a donc, naturellement, d’assez grandes différences entre les régimes d’une part, mais aussi, à l’intérieur de chaque régime. Sans stigmatiser les régimes spéciaux, dont bien évidemment de nombreux bénéficiaires ne sont pas d’épouvantables privilégiés, on peut tout de même s’interroger sur la différence qu’il y a, aujourd’hui, entre une comptable travaillant à la SNCF et une comptable travaillant dans une entreprise privée ; à l’inverse, et même si les métiers ont énormément évolué au fil des décennies, on peut admettre que des conducteurs de train travaillant la nuit, comme des chauffeurs routiers, ont – sous réserve d’être capable de le définir- des métiers pénibles.

Mais outre ce qui peut distinguer le régime général des régimes spéciaux, et comme l’a bien détaillé l’une de nos camarades, le système actuel comporte son lot d’injustices au sein même de chaque régime comme entre salariés du privé ou entre fonctionnaires.

Il accroit les inégalités entre hommes et femmes, il pénalise ceux qui cotisent à des régimes différents au cours de leur carrière, il pénalise ceux qui ont des carrières hachées ou incomplètes, il pénalise ceux qui ont des carrières avec de faibles évolutions salariales ; les salariés qui font moins de 150 heures par trimestre payent des cotisations pour rien, puisque ces trimestres ne sont pas validés.

En outre, l’indexation actuelle des retraites sur le coût de la vie, et non pas sur les salaires – qui progressent généralement en moyenne un peu plus vite- ne permet pas de progression.

Enfin est-il admissible que certains, tels les agriculteurs, se retrouvent avec des retraites mensuelles de 700 ou 800 euros après des vies de dur travail.

Fallait-il donc entreprendre une réforme ?

Pour moi, la réponse est incontestablement OUI, et je m’étonne de voir certains, de gauche, ou s’affichant comme tels, dire qu’il ne faut pas faire de réforme, qu’il n’y a pas d’urgence, que tout va très bien Madame la Marquise…

Le projet de réforme gouvernemental

L’objectif affiché et répété par le gouvernement et E. Macron est de remplacer le système actuel par annuité par un système universel par points. Pour chaque point cotisé, un salarié aurait accès au même droit. Cela permettrait en outre de procéder, nous dit-on, à certaines avancées sociales….

Cette philosophie était et est toujours portée par la CFDT, bien sûr (depuis 2005), le think tank « progressiste » Terra Nova, l’économiste Jean Pisani-Ferry, ancien commissaire général de France Stratégie sous Hollande puis, rallié à Macron, l’un de ceux qui ont inspiré son programme…

Le Premier Ministre a dévoilé le projet d’ensemble le 11 décembre dernier, tout le monde le sait…après une première mobilisation, massive, d’une partie des syndicats le 5 décembre, et d’une grève des transports largement suivie.

Ce projet comprend en effet quelques avancées non négligeables, telles que la fixation d’une pension minimum de 1.000 euros net, avec 85 % du SMIC dans la loi, une revalorisation de la retraite d’un certain nombre de femmes, notamment par des points ajoutés dès le premier enfant, une augmentation du minimum garanti de pension de reversion pour les veufs/veuves, la fixation de la valeur du point par les partenaires sociaux, par rapport aux salaires et non plus par rapport à l’indice du coût de la vie….

Il rappelle bien sûr que toute heure travaillée ouvrirait droit à une prise en compte des points ; il mentionne la prise en compte de la pénibilité, sans trop en détailler les contours…

Mais, aux yeux de beaucoup, le projet présenté a le tort de comporter aussi l’instauration d’un âge pivot, ou âge d’équilibre, accompagné d’une décote en cas de départ avant cet âge, ou de surcote en cas de départ plus tard.

Et c’est le mélange d’une volonté de réforme « systémique » avec cette volonté de rallonger la durée de travail pour bénéficier de ses pleins droits, donc de faire des économies, qui pose problème, notamment aux syndicats « réformistes », la CFDT, l’UNSA, la CFTC…Je trouve aussi regrettable de mélanger ces deux objectifs et je crois que l’on pourrait confier la recherche de l’équilibre financier – nécessaire sur le long terme- aux partenaires sociaux, qui le font très bien à l’AGIRC et à l’ARRCO.

A titre personnel, je me retrouve totalement dans la position de la CFDT et tout particulièrement de Laurent Berger, que je trouve assez courageux, dans le climat de quasi hystérie que nous connaissons.

Le projet actuel ne me convient donc pas en l’état.

En revanche,

si la notion d’âge pivot disparait, ou se limite à reprendre les termes de la loi Touraine, adoptée par la gauche en janvier 2014 et prévoyant déjà 172 trimestres de travail pour toute personne née après 1973,

si la notion de pénibilité est réellement précisée, autour notamment des 4 critères préconisés par la CFDT,

s’il y a bien dans la loi une revalorisation des salaires, par exemple des enseignants, pour ne pas être lésés par la réforme,

s’il y a bien les périodes de transition décentes pour les régimes spéciaux, le temps que ce lego complexe soit mis en place,

-et outre le maintien des points positifs (à mes yeux) mentionnés précédemment –

ça fait beaucoup de si, me direz-vous, mais si donc on arrivait à quelque chose comme cela, personnellement, je serais favorable au projet, qui serait alors plus universel et juste.

Quant à ceux qui poussent des cris d’orfraie sur le principe même des points, je rappelle que l’AGIRC et l’ARRCO fonctionnent comme cela, de façon à mon sens très satisfaisante, et que c’est la CGT qui avait elle-même poussé à la création de l’AGIRC, à points, en 1946.

C’est une technique…tout dépend de ce qu’on en fait.

Pour conclure, je suis donc très mal à l’aise quand je vois certains, ou même bon nombre de gens de gauche exiger le retrait pur et simple du projet, comme si la situation actuelle était bonne pour tous, notamment les plus fragiles, plutôt que de travailler à l’évolution du projet pour en faire quelque chose d’utile et de durable.

Si rien ne bougeait, il en irait bien sûr différemment….

Jean Marc Mignon

 

PS : un ami de la « première gauche », à qui j’expliquais ma position, finit par me dire, sans doute à court d’arguments : « de toute façon, moi je n’ai jamais été rocardien ou de la deuxième gauche ! ». Eh bien, moi, je l’assume…

Jean-Marc Mignon Militant du PS - Garches

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Xavier Brunschvicg à écrit :

Merci Jean-Marc pour cette très intéressante contribution. Quelques remarques de mon côté.
– la retraite à point peut être injuste : en ayant une retraite calculée sur l’ensemble de sa carrière, y compris les années de vaches maigres ou de temps partiel, on va forcément être très pénalisé par rapport à un système où l’on retient les 25 meilleures années.
– Du coup, comment faire pour qu’un système universel à point ne soit pas pénalisant ? Quels dispositifs mettre en place ?
– On a quand même le sentiment que, une fois de plus, on vient rogner notre modèle social. C’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. On sait tous que le gouvernement veut faire des économies en remettant en cause tous les dispositifs de redistribution et de justice sociale. Cette réforme s’inscrit dans cette logique. Aujourd’hui, réforme = régression. Comment faire pour que la réforme soit à nouveau signe de progrès ?

Liliane PUYHARDY ZANZI à écrit :

Je partage pleinement votre analyse. Oui il faut réformer, le patchwork actuel des systèmes de retraite est incohérent et injuste. Oui, le système à points peut-être un système adapté. Mais pourquoi donc E. Macron et le gouvernement ont-ils mélangé la réforme du système et les aspects d’équilibre financiers ? Certes la diminution du nombre d’actifs et le vieillissement de la population a des conséquences sur les équilibres budgétaires qu’il ne faut pas négliger, mais c’est à mon sens une erreur d’avoir voulu tout traiter d’un coup: la réforme devient de ce fait illisible et impopulaire. Quant à ceux qui réclament le statu quo (à gauche),soit ils adoptent une posture de principe; je suis dans l’opposition donc tout ce que font les autres est à jeter à la poubelle soit ils jouent l’autruche. Il faut du courage pour se lancer dans une réforme.ll me semble que les socialistes qui étaient au pouvoir il y a une dizaine d’années ne se sont pas vraiment illustrés dans ce domaine…ce qui a permis à E. Macron de passer haut la main. Il faut aussi du courage pour accepter de travailler avec d’autres qui n’ont pas forcément le même point de vue pour converger vers un compromis.

Françoise Guyot à écrit :

Sur l’injustice du système actuel et la nécessité de réformer, vous pouvez regarder cette vidéo de la 6ème à la 26ème minute. C’est l’émission du 10 décembre, donc avant les annonces du premier ministre :
https://mobile.france.tv/france-5/c-a-vous/c-a-vous-saison-11/1117825-c-a-vous.html

L’économiste Antoine Bozio y explique avec beaucoup de brio pourquoi le système actuel est injuste et pourquoi il faut un système à points. Son analyse et ses explications sont limpides sur un sujet qui reste compliqué.

Il y a aussi l’intervention de l’économiste Daniel Cohen jeudi matin sur France Inter :
https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-reforme-a-quel-prix